Je viens d’un pays où la liberté d’expression existe principalement pour les amis du pouvoir. Dans mon pays, les manifestations spontanées sont interdites. Si l’on souhaite se déployer à plus de cinquantes personnes dans la rue, il faut demander l’autorisation des forces de l’ordre huit heures à l’avance. Le gouvernement s’arroge le droit de suspendre l’application de certaines portions de la loi, à son entère discrétion. La vie dans notre métropole n’est pas sans risque. Les forces policières peuvent impunément investir un débit de boisson, gazer les personnes qui s’y trouvent et les arrêter sans leur lire leurs droits ni leur donner le motif de leur arrestation. Le gouvernement de mon pays est soupçonné de frayer avec des membres de la mafia, de recevoir des pots-de-vin et de favoriser ses amis. Il règne dans mon pays un relent de corruption qui fait en sorte que la confiance dans le système est presque inexistante. Les médias sont contrôlés par de grands conglomérats et il est difficile de se faire une idée claire de ce qui se passe vraiment. Et la propagande est telle que le citoyen moyen se trouve, bien malgré lui, à appuyer une dictature qui affirme ne pas en être une.
Dans un pays comme le mien, un blogue comme celui-ci m’apparait depuis quelques jours d’un superflu presque intolérable. Comment, en effet, puis-je écrire sur de telles mondanités que sont les corvées ménagères alors que dehors, dans la rue, on assiste à de tels évènements? Que l’on soit d’accord ou non avec la cause des manifestants, comment peut-on continuer de parler savon et frotti-frotta quand des policiers chargent les foules sans avertissement, mais surtout, sans raison? Quand une journaliste est projetée au sol par des policiers, qui l’ont aggripée par les cheveux pour l’empêcher de filmer? Comment, après cela, raconter que l’on a oublié son lavage dans la sécheuse ce matin, comme si cela avait la moindre importance? Et surtout, pourquoi?
Parce qu’il le faut. Parce que c’est en maintenant la normalité du quotidien pendant l’anormalité de l’époque que nous pourrons revenir à une vie normale. Parce qu’il ne faut pas s’arrêter de vivre, mais vivre encore plus intensément, il faut continuer de faire comme avant. Pas pour s’endormir, mais pour se prouver qu’on est encore des femmes de cœur, qu’on cherche encore lapaix intérieure, qu’on peut encore rire, de soi, des évènements. Pour prouver qu’on n’a pas peur. Que la peur ne nous paralysera pas. Parce qu’il faut rire, qu’il faut faire le plein de bonheur, tant que l’on peut. Parce que si on sait ce que c’est ce que c’est de vivre dans une société où jadis régnait la liberté, on sera mieux équipées pour reprendre ce qu’on nous a enlevé si brutalement.
Je vais donc poursuivre ce blogue, même si j’ai la plupart du temps la larme à l’œil, même si le monde dans lequel je vis n’est plus celui dans lequel je veux voir grandir mes enfants. Je vais poursuivre, pour ma santé mentale. Pour rester ancrée. Pour me convaincre que la vie peut redevenir normale, pour ne pas perdre les pédales... Ni l’espoir.
Et je militerai et je lutterai plus que jamais pour qu’on me rende mes libertés, celles qui devraient exister dans un pays démocratique.
Je ferai du ménage dans ma maison, en guettant l’occasion d’en faire au politique.
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